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Vente de lunettes sur Internet : les opticiens questionnent la position du gouvernement




Lundi 16 Décembre 2013


Le gouvernement entend légiférer en faveur de la vente d’équipement et de soins optiques sur internet. Les grands opticiens montent au créneau devant un projet dont ils estiment qu’il met en cause la qualité des soins.



(image courtesy of freedigitalphotos.net)
(image courtesy of freedigitalphotos.net)
Autorisation d’ouvrir une boutique d’optique sur internet sous réserve d’employer au moins un opticien, ou encore demande faite aux ophtalmologistes d’inscrire l’écart pupillaire de leurs patients sur leur ordonnance pour éviter aux opticiens de procéder eux-mêmes à ce relevé… La perspective d’un vote (prévu pour aujourd’hui, lundi 16 décembre) du Sénat au sujet de nouveaux amendements concernant le secteur de l’optique est ressentie par les opticiens traditionnels comme une flèche tirée dans le dos. Ceux-ci jugent en effet que ces amendements réduiraient, en l’état, leur rôle de professionnel de santé à une portion congrue au mépris de la qualité du parcours de soin.
 
Echauffourées
 
Pour justifier cette volonté de modifier la loi, le ministre de la consommation Benoit Hamon a affirmé que la vente de lunettes et de lentilles par internet permettrait « de faire baisser les prix de 20% et de redistribuer 1,3 milliard d’euros de pouvoir d’achat sans que cela ne coût un euro au budget de l’Etat ». Selon le gouvernement, commercialiser les lunettes par internet ferait donc faire des économies. Mais les grands opticiens historiques, eux, condamnent en bloc un désaveu qu’ils jugent à peine dissimulé bien que non mérité.
 
Pour Philippe Peyrard, directeur Général Délégué d’Atol interviewé sur RTL le mercredi 11 décembre, le projet de loi défendu par Benoit Hamon n’est rien de moins qu’une « hérésie ». Son enseigne, indique-t-il, propose des lunettes de vue pour un prix inférieur à 40 euros, comme la plupart de ses concurrents. L’argument du prix est donc jugé fallacieux. Perplexe, le patron fait également remarquer que l’on souhaite aujourd’hui demander aux ophtalmologistes d’effectuer des mesures d’écartement pupillaire… alors que leurs cabinets ne disposent habituellement pas des outils pour le faire.
 
Et tandis que certain remettent en question le bienfondé du projet de loi Hamon, d’autres représentants de la profession mettent en garde sur les conséquences mêmes de cette libéralisation du secteur de l’optique. « Sur un secteur qui emploie environ 100 000 personnes […] de telles mesures provoqueront à court terme une baisse de 16% du marché et mécaniquement la perte d’au moins 16 000 emplois », avance Didier Papaz, PDG du groupe Optic 2000. Et celui-ci de conclure non sans une pointe d’ironie : « j’ai du mal à entendre le ministre de la consommation annoncer un tel plan social ! » Reste donc à savoir si Arnaud Montebourg aura le même sens de l’économie que son confrère délégué à la consommation, tandis qu’il dénonçait dernièrement la stratégie de « destruction d'emplois dans les telecoms grâce au excès low cost » de Xavier Niel.
 
Mauvais timing
 
Pour les professionnels de l’optique, ce n’est ni le lieu ni le moment pour les velléités de libéralisation d’un gouvernement qu’on connaît habituellement plus « conservateur » en matière de politique économique. Du reste, les opticiens pointent du doigt que la commercialisation de verres correcteurs a déjà fait l’objet d’une extension à la vente en ligne. Or pour les opticiens, aller plus loin court-circuiterait les opticiens traditionnels et leur rôle de conseil, ce qui ferait porter un risque aux patients.
 
Pour le syndicat de la profession (Synope), ces mesures, « si elles sont adoptées, ne prévoient ni plus ni moins qu’une pure et simple libéralisation de la vente des produits d’optique sans aucun encadrement ni précaution sanitaire essentiels à la délivrance de ces dispositifs médicaux ». Un avis largement partagé par Jean-Pierre Champion, directeur général de Krys : « l’optique et la contactologie « relèvent de la santé oculaire, on ne saurait l’assimiler à un produit de grande consommation », explique-t-il dans un communiqué cité par l’AFP en réaction à l’annonce de ces amendements.
 
Pour Didier Papaz, « le grand gagnant de ce texte est Marc Simoncini », fondateur de Meetic et du plus récent Sensee, site de vente de lentilles et lunette à bas prix. « Je suis perplexe de voir Benoît Hamon, un homme de gauche, soutenir un businessman financier qui veut faire exploser un secteur », ajoute le patron de l’enseigne coopérative. « Chez Optic 2ooo, nous ne sommes pas opposé à la vente de lunettes sur internet, nous avons d’ailleurs lancé notre site en mai 2012. L’internaute pré réserve sa monture sur le site mais passe ensuite en magasin où l’opticien peut alors prendre les mesures nécessaires à un équipement de qualité ». Marc Simoncini considère pour sa part que « la France est le seul pays au monde où les lunettes ne se vendent pas sur Internet ». Certes, mais l’objection a ses limites aux yeux des professionnels de santé qui ne manquent pas de soulever une autre question, de fond cette fois-ci : la santé est-elle un secteur marchand comme les autres ?

La Rédaction




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