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L’iPhone 4, ou l’anti-communication de crise d’Apple




Lundi 20 Avril 2020


Il y a 10 ans, Apple devait réagir face aux critiques dénonçant un signal téléphonique de mauvaise qualité pour son nouvel iPhone 4. En effet, le choix de modifier la forme de l’antenne pour une bande métallique brouillait la réception, défaut de conception très vite relevé par les journalistes ainsi que les clients. Mais le problème n’a pas tant été l’antenne elle-même que la gestion de la crise, parce qu’au lieu de la résoudre dès son éclosion, Apple l’a aggravée. Retour sur une mauvaise communication de crise.



Un début de crise a priori anodin
 
Tout a commencé le 22 juin 2010, deux jours avant que ne soit commercialisé l’iPhone 4. Le Walt Street journal publie un article qui analyse le nouvel iPhone, et qui note en particulier un problème lié à la nouvelle conception de l’antenne, qui réduirait fortement la réception du téléphone. Dans les jours qui suivent, des sites spécialisés dans la critique de gadgets électroniques font à leur suite état de ce défaut. Engadget analyse le dysfonctionnement, qui vient de la position de l’antenne sur le coin inférieur gauche du smartphone. Ainsi, si le doigt de l’usager est sur l’antenne, le signal est bloqué. Le site iLounge montre quant à lui les performances moindres du téléphone dans une vidéo.

Ce début de crise est semblable à ce qu’ont pu connaître de nombreuses entreprises, sans pour autant se retrouver dans une situation difficile à gérer, dans la mesure où un produit est critiqué peu avant sa commercialisation. Cependant, la communication d’Apple va jusqu’à générer la crise, alors qu’une amplification aurait de toute évidence pu être évitée. Il apparaît alors que l’entreprise était peu préparée à la gestion et la communication dans le cadre d’un tel contexte, bien qu’Apple ait déjà dû par le passé faire face à des lancements de produits controversés, comme pour le iMac 27, dont l’écran tirait sur le jaune.

Une anti-gestion de crise

Steve Jobs met le feu aux poudres en répondant par mail à ArsTechnica, qui avait aussi publié une critique virulente du nouvel appareil : « C’est une réalité sur n’importe quel téléphone sans fil. Si vous rencontrez des problèmes sur votre iPhone 4, évitez de le tenir par le coin inférieur gauche dans la main gauche d’une façon qui couvre les deux côtés de la bande noire dans la bordure métallique, ou utilisez simplement une des nombreuses housses disponibles. » Ce conseil du fondateur d’Apple traduit un manque d’empathie évident à l’égard des consommateurs, alors que ces derniers sont une partie prenante essentielle. Alors que de toute évidence le téléphone à un problème de conception et que le client obtient un produit défectueux, le patron de la marque propose de combler les erreurs techniques par une utilisation alambiquée du produit. Cette communication est évidemment absurde et contre-productive puisque la promesse d’Apple est au contraire une parfaite ergonomie et une grande facilité d’usage.  Alors qu’une bonne gestion de crise traditionnelle aurait éteint le feu, cette communication l’attise.

De plus, au lieu de délivrer un message clair et de rassurer les clients, Apple se perd dans des chiffres par une manœuvre visant à justifier une erreur. La firme explique avoir utilisé 17 chambres anéchoïques et investi 100 millions de dollars dans un programme auquel 18 scientifiques ayant un doctorat avaient participé. Les informations sont délivrées au compte-goutte, sans plan effectif pour gérer la crise naissante. Les utilisateurs ont alors le temps de s’emparer de l’affaire, et d’alimenter ce qui devient peu à peu un scandale, chacun postant ses vidéos et commentaires sur Internet pour témoigner du mauvais fonctionnement de l’appareil, ce qui est relayé par les journalistes.
 
Une réaction tardive

Alors qu’une bonne communication de crise aurait consisté à s’exprimer rapidement pour s’excuser auprès du public, Apple tarde à prendre conscience de l’ampleur du mécontentement des clients. Un article du magazine Consumer Report précipite la réaction de la firme : « on ne peut recommander l’achat de l’iPhone 4 tant qu’Apple n’aura pas proposé une solution gratuite ».  La marque à la pomme annonce finalement une conférence, seulement deux jours avant sa tenue lors de l’été 2010. Les attentes du public sont élevées, tout le monde s’attendant en effet à un échange des mobiles. Or, Steve Jobs réaffirme les choix qui ont été faits pour l’iPhone 4, sans jamais s’excuser. Au contraire, il est martelé « Nous [Apple] ne sommes pas parfaits. Les téléphones ne sont pas parfaits. Nous voulons rendre tous nos utilisateurs heureux. ».

Pire, Apple compare lors de la conférence ses produits à ceux de concurrents comme Nokia et Blackberry, faisant d’eux des parties prenantes alors qu’ils n’en étaient pas. Une liste de téléphones concurrents est analysée, afin de prouver que l’antenne de l’iPhone 4 n’est pas si mauvaise, et cette liste reste alimentée pendant des semaines. Jobs emploie le terme « d’antennagate » pour étiqueter la polémique autour de l’antenne du smartphone, affirmant et renforçant ainsi le statut de crise.

Un geste est tout de même fait, mais à reculons, car c’est à la fin de la concurrence qu’Apple propose d’offrir une coque protectrice pour minimiser les contacts avec l’antenne et ainsi garantir une meilleure réception. Des réserves sont toutefois émises, la firme évoquant la possibilité que tous les usagers ne puissent pas en bénéficier, auquel cas ils recevraient à la place une simple housse produite par une entreprise tierce. Cette mesure entache en un sens l’image de marque, parce qu’Apple a fait du design de ses produits un de ses objectifs principaux, et un ajout de coque reviendrait à masquer et alourdir le produit.
 
Résolution miracle

Ce sont finalement 3 millions d’iPhone 4 qui ont été vendus les 4 premières semaines suivant sa commercialisation, malgré la crise et surtout sa mauvaise gestion par Apple. Comment expliquer cela ? Il faut croire que l’aura de Steve Jobs, légende vivante, ainsi que son culot, a convaincu les utilisateurs. Bien qu’en général, il ne soit pas recommandé de faire intervenir le président de l’entreprise au cœur de la crise pour communiquer, la crise de l’iPhone 4 en est un contre-exemple, justement de par le caractère emblématique de Steve Jobs, dès la rentrée 2010, l’affaire était oubliée.

Orianne Charbardès

Dans cet article : Apple, gestion de crise, Steve Jobs



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