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GPE : les chantiers aux défis de la conception réalisation




Vendredi 25 Février 2022


Désormais utilisés pour le Grand Paris Express, les contrats de conception-réalisation visent à réduire les coûts et les délais de ce chantier pharaonique. Ces nouveaux outils de commande publique cherchent encore leur point d’équilibre dans la répartition des risques et des responsabilités, notamment face aux aléas, inévitablement nombreux sur un projet aussi complexe.



Image d'illustration
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C’est actuellement le plus grand chantier d’Europe. Avec ses 68 nouvelles gares et ses 200 km de nouvelles lignes de métro automatique à l’horizon 2030, date prévue d’achèvement des travaux, le Grand Paris Express vise à transformer la mobilité au quotidien de millions de Franciliens et à redessiner l’ensemble de la géographie du Grand Paris. Un projet majeur pour le développement économique, la cohésion sociale et les émissions de gaz à effet de serre de la région capitale.
 
Mais pour des projets aussi ambitieux, la maîtrise du temps et des coûts est un défi constant qu’il est très difficile de relever. Dans un rapport publié le 17 janvier 2018, la Cour des Comptes s’est ainsi alarmée du « dérapage considérable » du coût du Grand Paris Express. Les sages de la rue Cambon pointent alors la dérive des coûts prévisionnels du projet. De l’objectif de 23 milliards d’euros, assigné par le gouvernement en mars 2013, la facture du Grand Paris Express est passée à 35 milliards ! En cause principalement : l’augmentation des coûts de réalisation (construction de sites supplémentaires, réévaluation des coûts de génie civil suite à l’approfondissement des études géotechniques, coût de recyclage des déchets, etc.) et les provisions pour risques et aléas , nettement sous-évaluées au regard de la complexité du projet. 
 
En février 2018, le gouvernement tapait ainsi du poing sur la table et Edouard Philippe, alors Premier ministre, réclamait à la Société du Grand Paris (SGP) 10 % d’économies sur le coût global du projet et fixait un nouveau calendrier prévoyant la réalisation de l’ensemble du réseau « à l’horizon 2030 ». Une exigence confirmée en novembre 2018 dans un courrier au président de la SGP, Thierry Dallard, nommé cinq mois plus tôt. En décembre 2018, celui-ci remettait au Premier ministre un plan de 2,6 milliards d’euros d'économies. Parmi les quelque 700 pistes d’optimisation évoquées, les économies les plus importantes sont attendues d’une meilleure gestion des déblais, d’une réduction de l’ambition pour certaines gares, d’une révision de certains tracés et de la suppression de certaines interconnexions, mais également de l’utilisation d’un nouveau cadre réglementaire de passation des marchés : la conception-réalisation. Un outil de commande publique censé permettre à la SGP de réduire les délais et de limiter les coûts.

 
La conception-réalisation, une solution pour réduire les coûts et les délais
 
Il s’agit de marchés de travaux globaux, prévus par l’article L. 2171-2  du code de la commande publique, qui permettent au maître d’ouvrage de confier simultanément, au sein d’un même contrat, la conception (études) et la réalisation (exécution des travaux) d’un ouvrage à un groupement d’opérateurs économiques – ou à un seul opérateur pour les infrastructures. Une exception à la loi MOP, du 12 juillet 1985, qui impose normalement de dissocier la mission de maîtrise d’œuvre de celle de l’entrepreneur. Seules dérogations, strictement encadrées : les cas où des motifs d’ordre technique ou un engagement contractuel sur l’amélioration de l’efficacité énergétique rendent nécessaire d’associer l’entrepreneur aux études, dès les premières phases du projet. Par leurs difficultés techniques particulières et leurs dimensions exceptionnelles, les chantiers du Grand Paris Express répondent à l’évidence à ces critères.
 
A partir de 2018, sous l’impulsion de son président, la SGP a donc eu recours à la passation de quatre marchés de conception-réalisation pour la réalisation des lignes 15 ouest et est. Pour Thierry Dallard, alors président, c’est « une façon de consolider les plannings, de maîtriser les risques et de réduire les coûts ». « Un outil puissant car l’entreprise est mobilisée plus tôt dans les études ce qui lui permet d’y contribuer par son savoir et son expérience. Ensuite, comme elle est responsable de la conception, si elle s’aperçoit qu’il faut corriger ses études, elle peut le faire très rapidement ». Cette solution permet aussi « d’optimiser le calendrier financier » dans la mesure où le groupement peut faire financer les pics de dépenses inhérents à tout grand chantier, sans avoir à ralentir parce que les crédits de l’année sont épuisés. Des orientations et une vision qui ont été confirmées par Jean-François Monteils, successeur de Dallard, nommé en mars dernier.
 
La passation de ce type de marchés permet en effet de réduire le nombre d’interlocuteurs et le nombre d’interfaces entre les acteurs, et donc de raccourcir les cycles décisionnels et d’alléger la procédure en réduisant le nombre de marchés à passer. Elle permet également d’optimiser les plannings et de réduire les retards par une implication plus précoce des constructeurs, mais aussi d’optimiser les coûts grâce à une évaluation précoce et plus précise des risques. Ce type de contrat laisse donc une large autonomie aux groupements d’entreprises pour concevoir leurs solutions techniques et les mettre en œuvre, les obligeant ensuite à assumer les éventuels surcoûts ou incidents. Ces marchés augmentent aussi considérablement les frais de candidature aux appels d’offres, compte tenu du volume d’études à réaliser.

 
Un nouvel équilibre à trouver entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre
 
En matière de gestion de projet, c’est donc l’entreprise mandataire du groupement qui gère la coordination et l’interface technique entre tous les lots, avec tous les contributeurs. La SGP peut ainsi se concentrer sur le dialogue avec les parties prenantes et la mise en cohérence globale du projet. Ce qui lui donne également des responsabilités, en particulier celle de s’assurer que le transporteur, les usagers et les élus locaux ont été consultés sur le futur service rendu et sur les conditions d’exécution du chantier, afin d’éviter qu’une partie prenante manifeste son désaccord au moment de la livraison. D’un point de vue opérationnel, ces responsabilités incluent également la mise à disposition actualisée d’un état des lieux exhaustif de l’environnement des chantiers et notamment des réseaux souterrains.
 
La conception-réalisation ne doit pas non plus être un moyen pour la SGP de transférer de manière globale tous les risques aux entreprises. Dans un environnement aussi complexe que celui du Grand Paris Express, l’entreprise doit faire face à une multitude d’aléas. On parle en effet d’une mégapole où des millions de personnes vivent, travaillent et se déplacent. On parle également d’un chantier qui se déroule sous terre, où existent des réseaux multiples, pas tous cartographiés, et des aléas géotechniques. Sans parler des incertitudes politiques. L’équilibre à trouver en conception-réalisation sur un projet aussi complexe passe par la mise en place de structures et de procédures permettant de résoudre les difficultés imprévues et de régler les éventuels litiges. À ce titre, les entreprises de BTP souhaitent en particulier que les risques liés aux inconnues du sous-sol soient partagés avec le maître d’ouvrage, et non pas laissés à leur seule responsabilité.
 
Par ailleurs, dans ces contrats de conception-réalisation, la phase initiale de dialogue compétitif, avant l’attribution des lots, est une étape clé, durant laquelle les candidats et le donneur d’ordre confrontent leurs points de vue, et peuvent aboutir, beaucoup plus vite qu’avant, à des solutions opérationnelles. Une véritable masse d’informations à haute valeur ajoutée qui constituent autant d’études économisées du côté du client et maître d’œuvre. L’investissement correspondant est particulièrement important pour les candidats aux appels d’offre, lesquels doivent mener des analyses beaucoup plus poussées que les seules études préliminaires. Pour que ces nouvelles modalités de relations soient viables à long terme, se posera assez rapidement la question du retour sur investissement pour les entreprises, si d’aventure telle ou telle n’était pas retenue, de manière récurrente… À défaut, peu d’acteurs du BTP pourront se permettre d’être candidats à ce type de marchés.

 
S’appuyer sur des entreprises expérimentées
 
Les entreprises qui possèdent déjà une expérience et une expertise de ce type de marché très spécifique sont a priori les mieux armées pour en gérer avec efficacité toutes les contraintes, coordonner les différents intervenants, trouver les solutions techniques les plus adaptées, et maîtriser les coûts et les délais du chantier.

Parmi les majors du BTP, c’est le cas notamment du groupe Eiffage, habitué à ce type de contrat, notamment en tant que société concessionnaire d’autoroutes. Contrat global par excellence, la concession inclut en effet à la fois le financement, la conception, la réalisation, l’exploitation et la maintenance des infrastructures. Par ailleurs, dans le secteur du bâtiment, Eiffage compte également à son actif plusieurs projets importants de conception-réalisation, comme par exemple l’hôpital Paris-Saclay, un tronçon de l’autoroute E18 en Norvège, la reconstruction de la prison des Baumettes à Marseille, ou encore la tour Hypérion à Bordeaux, la plus haute structure en bois de France.

Outre les majors du BTP, d’autres entreprises comme Demathieu-Bard ont également l’expérience de ce type de contrats, avec notamment la conception-réalisation de la nouvelle gare de Nantes, d’un immeuble de bureaux en bois de quatre étages pour l’opérateur internet Céleste, ou la construction du viaduc de l’Elle, à Villac, en Dordogne. Le groupe NGE a également testé ce type de marché, par exemple pour la construction de deux ensembles scolaires à La Valette-du-Var via sa filiale Cardinal Edifice, ou celle d’une galerie pare-pierres sur mesure pour protéger des voies ferrées à Brison-Saint-Innocent en Savoie, via sa filiale GTS. Autant de références qui peuvent peser dans les choix des donneurs d’ordre public, soucieux de pouvoir compter sur des entreprises dotées d’une véritable expertise de la conception-réalisation.

La Rédaction




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