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Olivier Meier
Olivier Meier est Professeur des Universités, HDR (Classe exceptionnelle), directeur de... En savoir plus sur cet auteur

Machiavel ou l'art de gouverner




Mardi 31 Août 2021


Nicolas Machiavel est l'un des fondateurs de la politique moderne et ses écrits inspireront plusieurs grands théoriciens de l'État, avec trois titres majeurs, Le Prince, Discours sur la première décade de Tite-Live et l'Art de la guerre. Si le recours à la force est une possibilité, la politique requiert également des capacités rhétoriques permettant de convaincre les autres. Elle exige aussi que les hommes politiques recourent à l'habileté, la ruse, la puissance individuelle et le flair.



La fin justifie les moyens

Acteurs politiques, dirigeants et décideurs ont souvent fait référence au pragmatisme et à l'efficacité de Machiavel dont l'habileté en matière de pouvoir n'a jamais été dépassée. Dans la pensée de Machiavel, le pouvoir, pour durer, peut s'exercer de plusieurs façons : par la loi – « propre aux hommes » –, par la force ou par la ruse. Mais bien souvent, comme la loi bien souvent ne suffit pas, il faut parfois recourir à la force (Prince, XVIII : 341) ainsi qu'à la ruse. Dans l’absolu, seule la force devrait permettre au Prince d’assurer le maintien de son pouvoir. Mais rarement le souverain dispose de la puissance nécessaire pour y parvenir. C’est pour cette raison qu'il doit associer l’astuce du renard à la force du lion.

Aussi, Machiavel reconnaît-il que, en général, la ruse sert plus que la force pour réussir à s'élever et à atteindre la grandeur. Partisan d'une politique d'expansion, Machiavel recommande de suivre la voie de Rome, cité ouverte — plutôt que celle de Sparte qui était repliée sur elle-même —, et d'affronter avec réalisme le difficile exercice qu'est le maintien d'un équilibre entre des forces opposées. Avec Machiavel, la politique acquiert ainsi un statut complètement nouveau, libéré des critères moraux du bien et du mal (séparation entre la politique et la morale) et résolument centré sur l'efficacité du Prince à conserver le pouvoir (c'est-à-dire maintenir la stabilité de la Cité).

Pour ce faire, la fin justifie les moyens car tous les moyens doivent être employés pour atteindre son but. Le secret joue dans ce domaine un rôle central. Cette préoccupation du secret trouve un écho dans les développements que Machiavel consacrera à la dissimulation et à la ruse. En remettant en cause la tradition fondée sur le respect de la parole donnée, Machiavel revendique un Prince prudent et habile qui n’a que faire de la parole donnée, notamment en période de nécessité (guerre).

Plus que le mensonge ou la tromperie, c'est avant tout le secret et la dissimulation sur lesquels se fonde la pensée de Machiavel. Pour lui, mieux vaut ne jamais révéler le point ultime où l'on souhaite s'engager.

En revanche, si tous les moyens sont bons pour parvenir au but recherché, la fin doit être légitime et donc morale (Le Prince, 1532). Il convient donc de distinguer l'action (à savoir les actes qui peuvent prendre différentes formes: ruse, dissimulation, tromperie, cruauté...) et la finalité  même de l'action qui doit servir l'intérêt général (stabilité de la cité).


"Un prince qui veut se maintenir doit apprendre à ne pas être toujours bon, et à user, selon la nécessité du bien ou du mal" (Le Prince, 1532)

"La fin justifie les moyens....à condition que cette fin soit morale" (Le Prince, 1532)
 

Les leçons d'un stratège

Dans le Principe, Niccolo Macchiavelli, (Machiavel) énumère plusieurs principes pour devenir un bon stratège et maintenir son pouvoir, en employant s'il le faut (nécessité) des moyens brutaux et cruels. Nicolas Machiavel est fondateur de la stratégie politique et n'a cessé d'influencer les plus grands leaders et dirigeants.

Nous proposons une lecture thématique de ces écrits sur la manière de gouverner, et la façon dont on peut bâtir une stratégie de pouvoir à la fois réaliste, efficace et différenciée (intelligence sociale et de situation).

Nous souhaitons en effet à travers cette grille de lecture, insister sur l'importance accordée par le "maître stratège", aux notions de consistance (force intérieure), d'habilité et de réseau interpersonnel. Nous nous sommes pour cela efforcés de traduire la pensée de l'auteur à travers la formalisation de 5 principes évocateurs de l'état d'esprit d'un dirigeant qui en bien des occasions, doit faire montre de réalisme (primauté à l'action), d'efficacité relationnelle (alliance, compétition, élimination), tout en sachant agir à bon escient et au bon moment.

Leçon 1: Si la réflexion est utile, elle n'a de sens que dans l'action

Le pouvoir ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. En effet, si on veut qu’une chose se réalise, mieux vaut la faire soi-même. et agir, en créant un mouvement qui permette de mobiliser ses équipes au service de son ambition. Il s'agit ici de se définir une ligne directrice en fixant des priorités et de s'y tenir, en assumant une vision, un engagement et une ténacité à toute épreuve.

Quelle que soit la situation, même dans la pire des situations, il reste toujours la possibilité d'agir. La nécessité (guerres, violences, menaces, passions...) et les occasions nous obligent à agir.

Il ne faut en aucun cas abandonner. La solution est dans l'action.

" Il est meilleur d’être impétueux que circonspect " (Le Prince, 1532)

Leçon 2: On mesure l'intelligence aux personnes qui nous entourent

Pour Machiavel, un bon dirigeant est une personne qui sait s'entourer, en évitant les personnalités nuisibles (rivaux) ou "dévoreuses d'énergies" (intermédiaires). En effet, l’intelligence d’une personne se mesure au nombre de personnes intelligentes de son entourage. Sa valeur réside dans sa capacité à pouvoir mobiliser des compétences multiples et variées au service de son ambition, en lui permettant d'agir avec efficacité et habilité.

"Le premier jugement qu'on fait d'un Prince et de son esprit , est fondé sur les gens qui l'approchent : lorsqu'ils ont de la conduite et de la fidélité , le maître est sans doute prudent , parce qu'il a su les choisir et se les conserver fidèles . Mais s'ils ont des qualités contraires à celles-là , on jugera toujours mal du Prince , dont la faute la plus capitale est le choix de méchants ministres ." (Le Prince, 1532)

Leçon 3: Si on vous nuit, mieux vaut traiter rapidement le problème

L'erreur de beaucoup de dirigeants est de laisser la situation empirer, en laissant se développer des actions néfastes émanant de personnes toxiques ou hostiles à la conduite de leurs actions.

"Un homme qui veut être parfaitement honnête au milieu de gens malhonnêtes ne peut manquer de périr tôt ou tard" (Le Prince, 1532).

Lorsqu'une menace existe et a pu être identifiée et analysée (détection de relations négatives au sein de son environnement), mieux vaut ne pas attendre et régler avec force et intensité le problème, afin d'éviter tout risque de propagation. Ainsi, la cruauté peut être un usage utile pour éliminer des personnes nuisibles, mais elle doit avoir un temps limité.

"Gouverner, c'est mettre vos sujets hors d'état de vous nuire et même d'y penser "(Le Prince, 1532)

En effet, elle ne doit en aucun cas s'inscrire dans un temps long, dans une démarche de gouvernement. La cruauté doit se voir comme un mal nécessaire au service de la conservation de l'autorité du prince.

Leçon 4: Il importe de contrôler ses émotions négatives

L'action et son efficacité demandent une bonne maîtrise de soi. Pour N. Machiavel, il est important de ne jamais maltraiter personne , à moins qu'on ne lui ôte entièrement le pouvoir de se venger. Les sentiments négatifs (ressentiment, rancoeur, suffisance...) peuvent créer davantage de problèmes (représailles, vengeances...) que d'opportunités.

"Le mépris et la haine sont sans doute les écueils dont il importe le plus aux princes de se préserver "(Le Prince, 1532)

"Quand il s'agit d'offenser un homme, il faut le faire de telle manière qu'on ne puisse redouter sa vengeance" (Le Prince, 1532)

Leçon 5: Face à la menace, la ruse sert souvent plus que la force

L'objectif ultime du souverain est la maîtrise des situations par tous les moyens, sans considération éthique ou morale, en misant sur le secret sous toutes ses formes (dissimulation, simulation, mystère), comme moyen de gouverner. C'est de cette façon qu'il est possible d'avancer sans pression excessive, tout en faisant preuve d'adaptation face aux évolutions de l'environnement (occasions).

N. Machiavel fait ainsi ici usage du secret, non pour masquer ses faiblesses, mais pour pallier l’impossibilité désormais avérée de la perfection en politique.
 
" la ruse sert plus que la force » pour « s’élever d’une condition médiocre à la grandeur " (Discours, 2, XII, 1531)

"Le sage Seigneur ne peut garder sa foi si cette observance lui tourne à rebours, et que les causes qui l’ont induit à promettre soient éteintes. […] Et jamais un Prince n’a eu défaut d’excuses légitimes pour colorer son manque de foi ; et s’en pourraient alléguer infinis exemples du temps présent, montrant combien de paix, combien de promesses ont été faites en vain et mises à néant par l’infidélité des Princes, et qu’à celui qui a mieux su faire le renard, ses affaires vont mieux." (Le Prince, 1532)

Conclusion

Machiavel s'est intéressé à l'exercice du pouvoir politique dans un contexte historique particulier (guerres d'Italie de la fin du XVᵉ siècle et au cours du XVIᵉ siècle) à travers différents écrits (ouvrages et lettres) orientés vers l'action (inscription de l'écriture dans un acte politique). Cette pensée reflète les mutations fondamentales qui transformèrent l'Europe du XVIe au XVIIIe siècle et qui ouvrirent de nouveaux enjeux à la manière sur laquelle les hommes réfléchissent à la chose politique. Elle marque l'émergence de l'État moderne, du réalisme politique et de la souveraineté absolue. N. Machiavel a  ainsi ouvert la voie à de nouveaux usages et pratiques dans la manière dont un dirigeant peut et doit agir, pour assurer la stabilité de la Cité.

Bibliographie

Machiavel N. (2000), Le Prince, tr. de J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, Paris, puf ; tr. de M. Gaille-Nikodimov, Paris, Le Livre de Poche, 2000 ; tr. de Y. Lévy, Paris, Garnier-Flammarion, 1980 ; tr. de G. Luciani (édition bilingue), Paris, Gallimard.

Machiavel N. (2004), Discours sur la première décade de Tite-Live, tr. de A. Fontana et X. Tabet, Paris, Gallimard.

Machiavel N. (2018), L'art de la diplomatie, Editions Perrin. Phillips T. (2017), Machiavel : leçons pour devenir un fin stratège, Maxima Laurent du Mesnil.

Joly M. (2018), Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, CSI Publishing Platform.
Manent P. (1977), Naissance de la politique moderne, Machiavel, Hobbes, Rousseau, Editions Payot.

LeFort C. (1972), Le travail de l’œuvre Machiavel, Editions Gallimard.

Note:






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2ème édition, revue et augmentée